lundi 23 août 2010

PEOPLE: Nicolas Sarkozy, Tartarin à l'Elysée


Est-ce l'effet de ses vacances provençales ? Ou la lecture assidue, qui sait, de Pagnol ou d'Alphonse Daudet ? Impossible de trancher, mais le résultat est là : le président de la République a passé son été entre galéjades et tartarinades. Les premières, pour qui l'aurait oublié, sont des 'histoires exagérées destinées à mystifier', précise le Petit Robert ; les secondes évoquent, sans garantie de l'Académie, les histoires à dormir debout de l'impérissable chasseur de lions de Tarascon.
AFP/BERTRAND LANGLOIS
Nicolas Sarkozy fait du vélo au Lavandou, près du Cap Nègre où il passe se vacances.
 

Voilà donc notre président et ses porte-fusils, mâchoires serrées, mentons haut levés et bustes avantageux, repartis en guerre depuis un mois - en "guerre nationale", même - contre tout ce que la France compte de mauvais Français, "racailles" de banlieue, "voyous" des cités, "crapules" des quartiers sensibles ; mais aussi de demi-Français d'"origine étrangère" qui feraient bien de raser les murs s'ils ne veulent pas être déchus de leur nationalité ; ou même de pas français du tout, mais néanmoins européens comme les Roms, renvoyés par charters dans leurs pays d'origine.
Après un mois de ce tintamarre, on aimerait pouvoir leur dire, avec une chance d'être entendu : "Arrêtez ce cirque, inutile d'en rajouter, vous allez finir par vous discréditer à force de surjouer les fiers-à-bras." On aimerait pouvoir les convaincre que personne n'est dupe des petits et grands calculs échafaudés au coeur de l'été : tenter d'éteindre par un violent contre-feu l'incendie déclenché, en juin, par les multiples incivilités de membres du gouvernement et, plus encore, par l'affaire Bettencourt-Woerth ; sauver, au passage, le ministre chargé de la délicate réforme des retraites ; tétaniser la gauche, supposée frileuse sur le sujet et, de fait, bien silencieuse ; enfin reconquérir la droite la plus musclée, singulièrement désabusée depuis trois ans.
Hélas ! rien n'y fait. Au contraire. On sait depuis des années que le moteur sarkozyste fonctionne avec des explosifs comme carburant : la provocation, la rupture, la transgression, l'attaque pour mieux se défendre, la levée des tabous, ou supposés tels.
Or la stratégie de la tension désormais engagée par le pouvoir - et qui risque fort de servir de trame principale aux vingt mois qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle - pousse le moteur jusqu'à la surchauffe et ce système de gouvernement jusqu'à la caricature. Car rien ne résiste à cet emballement : ni le sens des mots, ni les évidences de la réalité, ni l'Etat de droit.
Prenez le peuple, par exemple. On le croyait un et indivisible, composé de l'ensemble des citoyens de la République, soumis aux mêmes lois et titulaires des mêmes droits. Erreur, à l'évidence. Le peuple, le vrai, celui au nom duquel Nicolas Sarkozy et ses haut-parleurs prétendent agir, ce peuple des braves gens, comme on disait autrefois, exclut non seulement les "mauvais citoyens", qui ne méritent que la sanction, selon le ministre de l'intérieur, mais aussi ce "petit milieu médiatico-politique parisien", qui ne mérite, lui, que sarcasmes et mépris.
Que les caciques du pouvoir soient les principaux acteurs de ce "petit milieu" coupé de "la réalité de la société française" ne semble plus les effleurer. Que les connivences et les complicités mises à nu par l'affaire Bettencourt entre ces deux quartiers ultrasensibles que sont Neuilly-Auteuil-Passy d'un côté et le Faubourg Saint-Honoré de l'autre aient écoeuré plus d'un "bon citoyen" ne semble pas les troubler davantage. Enfin ils occultent avec énergie l'évidence que ce peuple, "leur" peuple, a compris depuis belle lurette à quoi s'en tenir : depuis le début de l'année 2008, élections après élections, sondage après sondage, ce sont précisément les catégories populaires, ouvriers et employés, premières victimes de la crise autant sinon plus que de l'insécurité, qui sont les plus sévères sur l'action du président et du gouvernement. Cherchez l'erreur !
Ce déni de réalité est devenu comme la marque de fabrique de l'actuel pouvoir. Il en est ainsi de la charge constante contre la stupidité ou la malveillance des commentateurs, de ceux qui parlent, critiquent et pérorent quand le pouvoir, lui, "agit".
Trois remarques à ce sujet. Depuis son élection, il n'a échappé à personne que le plus grand bavard de la République est son président. Il a tant et si bien usé et abusé de son droit de parole et fait la leçon à la terre entière sans obtenir les résultats claironnés - notamment en matière de sécurité - que la parole publique est plus démonétisée que jamais. Chacun a compris, et le peuple n'a pas été le dernier, que pour Nicolas Sarkozy le discours, trop souvent, tient lieu d'action.
Au-delà de la très grosse ficelle consistant à rejeter dans le camp des conservateurs tous les commentateurs critiques, il y a quelque chose d'inquiétant dans l'anathème en vogue contre les "bien-pensants". Est-ce leur conservatisme suggéré qui irrite, ou le simple fait qu'ils s'emploient à comprendre et faire comprendre la politique menée depuis trois ans ? Bref, qu'ils exercent un droit de regard sans lequel il n'y a pas de démocratie vivante.
Pire, quand l'Independant britannique fustige les "amalgames au mieux délibérés, au pire malhonnêtes" pratiqués par le président français, quand le New York Times s'inquiète de le voir "attiser dangereusement les sentiments hostiles aux immigrés pour satisfaire ses objectifs politiques de court terme", quand la Süddeutsche Zeitung estime que "Nicolas Sarkozy multiplie les gesticulations, croyant démontrer sa force alors qu'il révèle ainsi sa faiblesse", quand La Vanguardia catalane se demande si "la France est un pays raciste", quand enfin le pape lui-même s'en mêle pour rappeler à qui de droit les règles élémentaires de la charité chrétienne, c'est le crédit du chef de l'Etat et, au-delà, l'image du pays qui en prennent un sacré coup. De cela, aussi, le chef de l'Etat semble ne pas se sentir comptable. La certitude d'avoir raison envers et contre tous n'est jamais la meilleure conseillère.

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